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L' imaginable et l' impossible....

Lorsque j’étais enfant puis adolescente, je tentais par tous les moyens de combler mon ennui. Pas de soeur avec qui partager des jeux, des frères qui ne s’occupaient pas de moi, un père absent et une mère trop présente. Il n’y avait que ma grand-mère qui a tout essayé pour m’occuper : le canevas, le tricot, mais rien ne m’interressait. Ce que j’aurai tant espérer c’est avoir une amie avec qui tout partager, les jeux, les rires, le lit,les confidences, les larmes. Mais ma mère ne me permettait pas cet accès à une vie sociale avec des enfants de mon âge, juste par peur que je lui échappe, que je sois moins proche d’elle, mais aussi à cause du "quand dira t’on. Celui qui jugerait ma famille et surtout mon père. Mon père qui passait son temps libre à le vivre avec ses amis de bistrot et qui rentrait à la maison une fois qu’il n’avait plus assez d’argent et qu’il ne tenait plus debout. Quelle honte pour ma mère si une personne extérieure pouvait s’en rendre compte !

Alors, je tournais en rond dans ma maison, le tour était vite fait, je passais d’un étage au rez de chaussée en passant par la cour ou la rue les jours de beau temps. Et je disais sans cesse:" Je m’ennuie!".
Dans ma chambre au grenier, je regardais par la fenêtre et imaginais la vie des voisins, des gens de passage dans ma rue et j’enviais leur vie. Adolescente, ma mère dormait dans ma propre chambre sous prétexte qu’elle ne savait pas dormir à cause des ronflements de mon père. Elle ne m’avait jamais demandé mon avis.....je subissais sa présence, je manquais d' intmité. Lorsque je pleurais d’une vie si triste, je le faisais en cachette, sans que personne ne le sache. parfois ma mère allongée sur sn matelas par terre, m’entendait soupirer et s’en plaignait sans jamais chercher à savoir pourquoi. Je lui en voulais de ne pas être écoutée, de ne pas chercher à comprendre. Comprendre que ma vie d’adolescente n’était pas celle dont je rêvais, que tant de choses me manquaient et que tant de choses m’étouffaient.

Alors pour m’endormir paisiblement, j’avais trouvé un rituel. Je me caressais le creux des bras, pour ressentir un bien être, et je me suis mise à m’inventer une autre vie. Une vie où on s’occuperait de moi, et pour moi la seule façon était d’imaginer les pires choses pour attirer le plus d’attention. Je m’inventais des maladies, des accidents où j’approchais la mort de très près afin d’amener le plus de monde autour de moi.

J’ai continué ce rituel longtemps. Je me souviens mon premier amour perdu que je pleurais, toujours en cachette. Ma mère avait brûlé toutes ses lettres et ses photos sans même m’en parler. J’ai été bléssée une deuxième fois, elle n’avait pas le droit de faire ça en ayant juste pour excuse qu’elle ne voulait plus me voir malheureuse car ça la faisait souffrir elle ! De là, j’ai continué, avec une force incroyable à m’inventer son retour.

Ce qu’aujourd’hui, je me rend compte c’est que toutes les pires choses que je me suis imaginées, tout l’ennui dont j’ai fait preuve étant enfant, me sont arrivées. Peut être pas exactement comme je me l’inventais, mais à ce jour, et depuis plusieurs années, je remarque que je ne suis jamais oubliée, que je vis au travers des autres moi qui me sentais si seule. J’ai frôlé la mort avec mes enfants, et je vis encore et toujours des histoires d’amour impossibles.

Je rattrape tout ce temps à imaginer, à le vivre. Comme si une petite voix me disait : "tu l’as voulu, tu l’as cherché !". Oui j’aime cette vie si différente des autres, si particulière que je n’en voudrai pas d’une autre. Même si parfois elle m’est difficile à vivre, je pense connaître plus que quiconque la valeur de chaque chose, de chaque sentiment. Je me dois de mériter ces choses, j’endure pour atteindre ce que je désire, mais je sais avec force que nul ne vit ma vie comme je le fais. Je suis consciente que jamais je ne vivrai , que je ne penserai comme les autres. On me trouve extraordinaire, alors qu’en fait je regarde, je ressens, je vois différemment des autres tout simplement.....

Chaque jour, je me rend compte de ma singularité de par ce que l’on me renvoit et chaque jour, je me sens différente. L’amour que je porte pour Sébastien est le témoin de ma différence, de par son impossibilité. Peut être que cet amour trouve sa force dans cette impossibilité. Sébastien et moi avons conscience plus que n’importe qui, de la fin de notre relation. Pourtant nous croyons en l’amour que nous avons l’un pour l’autre, il est indéniable, mais nous savons qu’il trouvera une fin quelqu’elle soit. Une fin que l’on veut très lointaine car nous avons encore tant et tant à nous donner. Donner jusqu’à tarir nos propres ressources, se remplir, se vider. Nous nous sommes fait à l’idée qu’un jour nous nous perdrons. Lui continuera sa vie avec elle et moi je rencontrerai une autre personne à choyer. Nos chemins se sépareront, quand nous ne trouverons plus la force de nous remplir l’un de l’autre....

Avoir conscience d’une telle fin, c’est vivre avec encore plus d’intensité chaque moment passé ensemble comme si c’était le dernier. C’est tout donner, se donner, partager, recevoir, tout prendre comme si le lendemain tout nous serait enlevé. Lorsque j’observe les couples, les familles autour de moi, je me demande souvent s’ils ont conscience de cette fin. Je veux vivre ma vie avec cette intensité comme si elle allait s’éteindre à tout jamais. Vivre différemment, mais pleinement, passionnèment, consciencieusement, et sans peur.....