deux

Deux

Je suis née un 2 janvier dans un quartier populaire où les gens vivaient plus dehors que dedans malgré le temps. Dehors, car c’était la seule voie d’accès au monde, enfin surtout pour moi...
Deuxième d’une fratrie de trois enfants et seule fille de la famille, ma destinée enfantine était déjà vouée à vivre avec les hommes, les mecs, les garçons. Deux frères m’ont accompagné durant toute mon enfance tant bien que mal, je les ai supporté, ils m’ont supporté, on s’est soutenu pour affronter tout ce que l’enfance a de plus ingrate : les disputes des parents, un père absent, alcoolique et une mère étouffante mais présente...
Un peu paumée dans un monde qui me paraissait inconnu, j’ai tenté de me faire une place auprès des miens même si par moment j’aurai préféré ne pas être des leurs.
Les seuls bons souvenirs que j’ai gardé en mémoire ce sont ceux vécues loin de chez moi mais avec les miens : dans une région montagnarde où le temps d’un été je me libérais à vivre pleinement mon enfance et mon adolescence. Là-bas, j’avais une image .positive et idéaliste de ce que pouvait représentait une vraie famille. Des rires, de la tendresse, des paysages et des odeurs de lavande plein la tête qui me faisaient voir sous un autre jour mon cocon familiale.

Fille, je l’étais c’est certain mais au fond de moi même il était bien difficile d’en montrer tous les aspects. Ma mère m’habillait comme tel, mais je n’ai jamais aimé ces robes qui vous empêchent de pouvoir courir aussi vite que les garçons et qui vous piquent en vous disant:"mais si il faut la mettre, elle est belle cette robe c’était à ta cousine et en plus elle est bien chaude!". Quel malheur j’avais eu, non seulement d’être la seule petite fille de la famille et en plus d’avoir eu une cousine de 3 ans mon aîné...
Un malheur de me transmettre tous ses vêtements que moi, personnellement je ne trouvais plus à la mode. Déjà en primaire, mon image de moi ne calquait pas avec ce que j’étais et avec ce que mes copines me renvoyaient. Elles, elles étaient toujours habillées à la dernière mode des années 80, moi je trainais ceux de ma cousine que je trouvais ringarde : "mais si ils sont beaux ses vêtements, regarde quand même c’est ta marraine qui a du goût...!"
Son goût n’était pas le mien, je finissais avec une coupe de cheveux à la "Mireille Mathieux" car c’était la seule coupe que ma Marraine savait faire et qui plaisait à toute la famille.

Souvent, j’ai pu entendre:" Mais enfin fais comme ta cousine,

c’est un bon exemple!". Moi, mon envie c’était de pouvoir faire de l’équitation, mes parents n’ayant pas les moyens, je devais faire de la gymnastique comme elle! ! Je n’aimais pas la gymnastique, on écoutait pas mes envies.... surtout je ne possédais rien à moi, alors comment m’aider à me faire une place dans cette famille ?

Je devais m’identifier à ma cousine, je l’aimais beaucoup, elle était la seule fille avec qui je pouvais jouer à des jeux de filles et à des jeux que je n’avais pas chez moi. Chez moi, les jouets ne duraient pas plus d’un mois, mon frère aîné prenait un malin plaisir à passer ses nerfs dessus quand il ne pouvait pas le faire sur nous!
De plus, fille unique qu’elle était, elle était toujours heureuse de nous voir arriver tous les dimanches chez elle pour profiter de son jardin alors que nous jouions dans la rue. Mais elle cachait quand même les jouets auxquels elle ne voulait pas qu’on touche de peur que nous, les trois cousins, nous les cassions. De par mon frère aîné, nous avions la réputation d’être des "casseurs" qui ne prennent pas soin de leurs affaires...
Lorsque nous allions chez notre cousine c’était comme si on entrait dans un autre univers. Une grande maison avec un jardin, deux toilettes, deux salles de bains et une chambre pour elle toute seule! ! Le rêve pour nous, tout était grand, même la pièce de vie, il y avait une salon et une salle à manger à part alors que chez nous c’était la salle à manger dans le salon ! Chez elle, j’avais l’image d’un vrai foyer que je rêvais d’avoir plus grande. On se réunissait nous les enfants dans le jardin l’été à faire des cabanes dans tous les coins pour s’y cacher et l’hiver dans la chambre pour jouer aux jeux de société pendant que les parents jouaient au Scrabble ou regardaient des diapositives sur un grand écran tout blanc. Pour moi, cela devait être comme au cinéma, enfin je l’imaginais comme cela car je n’y allais jamais, trop cher....

Durant mon enfance, j’ai toujours vécu le paradoxe entre ces deux mondes : celui de ma propre famille avec mes parents et mes deux frères et celui de ma cousine avec ma Marraine et mon oncle.
Je sentais bien qu’il y avait un décalage mais je le vivais bien enfin je pense que je m’adaptais, j’y trouvais mon plaisir à rejoindre cette autre famille, celle avec le jardin. Je n’ai jamais ressenti de jalousie vis à vis de ma cousine même si je comprenais qu’elle pouvait avoir presque tout ce qu’elle voulait alors que moi je devais demander à ma Grand-mère ou à ma Marraine, mes parents ne pouvant me l’offrir.

Offrir voilà un mot dont la connotation me paraissait ambigüe, qu’est ce que ce mot pouvait bien signifier ? Ma mère pensait m’offrir tout ce qu’un enfant pouvait désirer de sa propre mère : de l’amour. Mais pour elle, c’était un amour fusionnel, qui ne laisse pas de place aux deux protagonistes, où chacun se perd dans l’autre et ne peut vivre sans l’autre...Cet amour là m’a fait souffrir enfant car je ne pouvais quitter ma mère des yeux de peur que celle-ci m’échappe, échappe à ma condition. Une condition d’enfant dépendante...Ma mère m’accordait une place dans sa vie beaucoup trop grande au point où le cordon avait du mal à être coupé. Mon père, qui aurait dû être ce tiers séparateur, était plus occupé à penser à lui plutôt qu’à ma condition de fille unique de sa mère. Je lui en voulais de ne pas venir couper ce lien trop fort entre ma mère et moi, aujourd’hui, je pense que lui non plus n’a jamais su faire sa place dans la famille...
Marié à l’âge de 27 ans; c’était plutôt tard à cette époque; il a vécu un moment seul à vivre sa vie de jeune homme, le boulot, le football et les troisième mi-temps avec les copains. Il a du aimer ma mère, sans doute, mais ne savait lui déclarer ni l’avouer car sa place était prise par ma Grand-mère, sa propre belle-mère.

Ma Grand-mère était un maillon indissociable de notre famille, nous étions cinq avec mes frères et mes parents mais s’y rajouter, ma Grand-mère. Personne ne lui avait rien demandé, elle s’est imposée à nous, pensant qu’elle était indispensable à l’équilibre de notre foyer. Elle n’as pas vécu une vie facile, on ne peut lui reprocher, elle a vu la guerre, elle a perdu un bébé juste avant ma mère, alors ceci explique peut être cela… On ne vit jamais de la même façon après la perte d’un enfant. Ma Grand-mère, inconsciemment, portera ce deuil toute sa vie, je peux comprendre aujourd’hui,elle a porté tout cet amour sur ma mère de peur qu’elle aussi ne lui échappe. Un amour dépendant, comme ma mère reproduisait sur moi. Le souci c’est que ma mère n’a jamais su couper le lien qui est devenu destructeur car ma mère incapable de vivre sans cette relation même si quelque fois elle le déplorait et le déplore encore aujourd’hui.

Ma mère a laissé faire sans réagir, elle n’a pas su trouver sa place, elle ne remplaçait qu’un enfant qui avait existé. Alors difficile d’être à la hauteur quand quelqu’un vous montre que vous ne savez rien faire sans elle… Mon père fuyait donc le foyer car de toute manière il n’y avait pas sa place, il ne devait se trouver utile qu’à travailler et ramener de quoi vivre. Concernant notre éducation, n’ayant pas connu son père, il a pensé que nous, ses propres enfants, pouvions vivre de son absence.

Mon père, enfin, je veux dire mes pères car pour moi, enfant, ils étaient trois : le papa courageux qui avait un boulot physique et qui ne rechignait pas par tous les temps, un papa complice le temps d’un grattage dans le dos; le seul moment affectif où je pouvais sentir la chaleur de mon père, les câlins c’étaient trop impudiques; et un papa qui aimait se retrouver entre amis à boire des bières dans les bistrots de la ville et qui ne voyait pas l’heure défiler pur dire bonne nuit à ses enfants et du coup rentrait ivre.
Cette dernière image ne me plaisait ni à moi ni à ma mère. Pour mes frères, c’était une délivrance de le voir enfin rentrer et d’être à moitié là. Ce papa là, c’était pas le mien… je le revendiquais à moi même, je m’interdisais de l’aimer et j’attendais que le vrai papa revienne.

Et il revenait le weekend, ou lorsque nous partions en vacances, là je retrouvais mon vrai père, celui qui était attentionné, qui savait faire preuve d’autorité et de souplesse en même temps. Ces moments là, il savait trouver sa place de papa car pas de tierce personne dans le couple, un ménage à trois ça ne peut fonctionner...ça Grand-mère ne savait pas ou ne voulait pas l’entendre. Pourtant, et je ne peux lui reprocher aujourd’hui, mon père savait en tirer profit dans un sens. Peut être voulait-il faire réagir la belle-maman et sa propre femme ? Mon père avait pris l’habitude de faire des ardoises dans les différents cafés de la ville. Il avait une telle popularité que socialement, il se faisait beaucoup d’amis du même milieu et même s’il laissait des ardoises, et que les cafetiers venaient sonner à la porte pour leur dû, il était aimé et considéré. Un vrai loup blanc jovial et convivial qui attirait la sympathie.
Tout cet argent dépensé, mes parents ne pouvaient l’assumer mais mon père savait très bien ce qu’il faisait, il faisait payer le prix à ma Grand-mère de sa place dans la famille. Une place qui était la sienne mais qu’on lui avait dérobée. A cette époque, moi j’avais l’écho que mon père n’était pas un bon père, qu’il ne savait jouer son propre rôle car il abandonnait sa famille pour vivre sa vie avec ses acolytes du soir et se perdre dans l’alcool. "Tu te rends compte, papa il sait que tu es malade, il ne rentre même à la maison, il préfère aller boire son coup!". Qu’est ce qu’ils en savaient ce que mon père préférait ? ils n’ont jamais chercher à savoir ce qu’il pouvait ressentir lui, on ne pensait qu’au mal que ça pouvait donner à ma mère ! Ma pauvre maman si dépendante, si assistée, il ne fallait surtout pas la rendre malade....J’ai pu entendre cette phrase des milliers de fois:"vous allez arrêter vos bêtises vous allez me rendre malade!". Du coup, moi petite fille sage et attachée à sa mère, j’ai appris à me taire quand je n’allais pas bien, je faisais ce que l’on attendait de moi. Le souci, c’est que tout ce qui est tût ressort d’une manière ou d’une autre. Et moi fallait que ça sorte, alors inconsciemment ça sortait par la bouche mais pas avec la langue....je crachais tout le temps sans savoir pourquoi.
C’est ainsi qu’à l’âge de 8 ans, en classe de CE2, je me suis mise à faire ce que ma mère et ma Grand-mère appelaient une dépression.

J’avais déjà bien du mal à accepter d’aller à l’école, car pour moi c’était un moment de séparation où je n’allais plus voir ma mère le temps d’une matinée et ensuite d’une après midi. Durant toutes mes années de primaire, chaque rentrée était un calvaire, chaque jour à vivre à l’école était un jour en moins sans ma mère...
Que pouvait-il se passer pour maman le temps que j’étais loin d’elle ? Elle pouvait disparaitre sans savoir pourquoi, elle pouvait ne plus jamais revenir. Souvent, je faisais le même cauchemar, j’allais à l’école avec mes chaussons aux pieds et arrivée là bas tout le monde se moquait de moi. J’ai compris bien plus tard, que mon désir d’enfant était de pouvoir garder un lien avec ma mère, ce lien qui en quelque sorte me punissait. Me punissait de trop aimer ma mère ou plutôt me punissait du trop plein d’amour que ma mère me donnait.

Ce que je crachais, c’était ce poison de l’amour étouffant qui ne laissait pas de place à mon être, à mon moi. Comme tout ce qui n’est pas compréhensible par l’adulte, on préfère s’en remettre à la médecine au lieu de se poser les bonnes questions : "pourquoi fait-elle cela ? Qu’est-ce qui a pu déclencher ce comportement?".
Je le sais c’est difficile de prendre du recul sur soi, d’être objectif avec soi même mais au point d’être aussi aveugle à ma souffrance...Peut être n’avait-elle (ma mère) pas les moyens pour comprendre la situation ? Alors il lui fallait trouver la réponse ailleurs et ailleurs pour ma mère et ma Grand-mère c’est chez le médecin car pour elles, tout se soigne avec des médicaments.
Et là, enfin on me posa la bonne question : " y-a-t-il quelque chose que tu as vu ou entendu qui t’a choqué?". Ma réponse a été immédiate et je ne savais d’où elle sortait mais elle me paraissait évidente, j’ai répondu : "oui, à la télévision, j’ai vu un bébé dans le ventre de sa maman!". De suite, le médecin vit clair et sans m’en parler proposa à ma mère de se séparer quelque temps de moi. On décida donc de m’envoyer en colonie. Quel malheur pour moi, rien ne m’avait été expliqué, on voulait m’enlever à l’amour de ma mère et pourquoi on me faisait ça, je n’avais rien fait de mal, je ne devais pas être punie. Pour me "soulager", on m’avait envoyé là bas avec mon frère aîné pour avoir un repère mais bon il ne pouvait et ne savait remplacer ma mère. Je pleurais chaque jour, un week end mes parents sont venus me voir, quelle délivrance enfin ma punition allait se terminer ! Mais cette délivrance a été de courte durée, ils sont partis le soir même, une deuxième fois on m’abandonnait.

Ce n’est que bien plus tard, à l’âge où enfin on m’a laissé mûrir, que j’ai compris le sens de cette séparation. Le bébé que j’avais vu dans le ventre de sa mère c’était moi, moi qui ne savait pas couper le cordon qui était relié à maman et maman reliée à moi sans que cette dernière ne sache le couper non plus. Normal quand elle même n’avait pas su le faire avec sa propre mère.
A partir du moment où j’ai appris à vivre sans ma mère, c’est elle qui avait du mal à vivre sans moi. Le travail de séparation avait fonctionnait avec moi mais avec elle cela semblait de l’ordre de l’impossible.

Mon adolescence, je l’ai passé à tenter de me défaire de cet amour maternel. Ma mère ne m’aidant pas dans ce sens, les conflits ont commencé à se faire de plus en plus grand. Je revendiquais enfin ma place dans cette famille. J’étais devenue plus grande que ma cousine donc je ne rentrais plus dans ces fameuses robes que je détestées, enfin à 12 ans, j’avais mes propres vêtements, je pouvais ainsi développer ma propre personnalité. C’est à cet âge là que je me découvrais en tant que personne avec tout ce qui va avec. Le regard des autres était signifiant, il me renvoyait à ma propre image. Enfin, j’allais savoir qui je suis…

Le premier regard extérieur, c’était celui des garçons au collège.
Et quel regard!! ! Je ne comprenais pas toujours ce qu’il signifiait mais je ressentais une certaine attirance. Une attirance mêlée d’une curiosité qui me poussait à en savoir plus sur les garçons et de par là sur moi même. Je me demandais pourquoi ce genre de regard qu’est-ce que j’avais pour dire qu’on me regarde de la sorte?
Sans que je m’en rende compte ce regard porté sur moi faisait de moi une jeune femme.
Le collège fut une bonne expérience de ma vie car enfin j’existais aux yeux des autres. Un regard qui, je l’ai compris au fil de mon adolescence, était un regard de désir...
Quelle ne fut pas ma surprise de constater que je pouvais plaire et cela sans même rien faire juste en étant moi même ! Un jour, je devais être en 4ème, j’étais dans la cour de récréation, là on s’amuse à faire les 100 pas avec les copines en discutant des garçons, un ami de ma copine vient nous parler et me demande ce que j’ai comme déodorant ! Là je me suis demandé ce qu’il voulait dire par là… En fait, il me faisait comprendre que j’attirais les garçons du collège et pas qu’un seul ! Ouah!! ! Ma copine m’enviait mais ne me le disait pas, elle souriait.
Une autre fois ce que ce garçon m’avait révélé s’est confirmé, j’ai eu toute une classe de 3ème à mes pieds, tous dans la cour, m’entouraient et criaient mon prénom ! Quelle joie de pouvoir plaire autant tout en étant soi même ! Je me souviens aussi, qu’en cours d’histoire géographie, le mercredi matin, je passais dans le classe juste après les 3ème et là à ma place, j’ai retrouvé une déclaration d’amour à mon nom...je n’ai jamais su qui c’était. Encore un amour inavoué...
A l’âge de 14 ans, j’ai fait l’expérience de l’amour platonique. Enfin, depuis ma dernière colonie j’étais contente de partir loin de chez moi sans ma famille mais avec mes amis du collège et des garçons!
Ce n’était pas si loin que ça dans la même région mais pour moi c’était loin du cœur de ma mère, de son emprise. C’est là bas que je suis tombée amoureuse pour la première fois. Il était d’origine portugaise, un petit brun aux yeux marrons tout timide qui comme moi ne savait faire le premier pas pour aborder la personne qui vous attire. Ce voyage baigné par la chanson de U2 "With or without you" a été un moment magique car je découvrais les mystères, l’alchimie de la rencontre amoureuse. Je ne savais lui exprimer mes sentiments et lui de même, mais il suffisait de nous voir toujours ensemble pour comprendre ce que nous ne pouvions mettre en mot. Nous avons passé ce séjour sans jamais exprimer oralement nos sentiments ni même physiquement, seul le regard savait parler.

Cet amour platonique n’a pas perduré car à ne pas savoir dire on préfère se taire et ne rien faire. Le temps a eu raison de cet amour, et puis j’avais tant encore à découvrir sur l’animal qu’on appelait homme.

De l’amour platonique, je suis passée au flirt. Le flirt ou plutôt comme on disait de mon temps, "sortir ensemble". Enfin, j’allai passé du cap du regard à celui du toucher. Cela ne m’a jamais été voulu de mon plein grès mais je savais qu’il fallait que j’y passe...
Je n’ai jamais chercher à cette époque à vouloir embrasser les garçons, j’attendais que cela vienne d’eux ! Je n’ai pas attendu si longtemps même si je me croyais déjà un peu en retard par rapport aux filles de mon âge qui l’avaient soi disant déjà fait...
C’est lors de ma quatorzième année, que j’ai pu faire l’expérience du premier baiser. C’était au moment des grandes vacances, la première année où mes parents ont décidé de partir avec des amis qui avaient deux garçons qui ont été à l’école primaire avec mes frères et moi. Mes parents avaient gardé contact et mes frères côtoyaient ces garçons. Il y avait un blond, de mon âge et un brun un an plus vieux. Le blond, je me rappelle qu’en étant enfant, j’en était amoureuse en cachette, le souci c’était que toutes les filles ou presque en étaient amoureuses ! Mais moi il ne me regardait même pas, normal qu’y avait-il d’attirant chez une petite fille qui pleurait tout le temps après sa mère et qui portait des vêtements désuets !

Et bien, je peux vous dire que cette année là, il ne me regardait plus de la même façon, la gentille et discrète chenille s’est transformée en joli papillon. Alors à ce moment là, j’ai attiré son regard mais aussi celui de son frère aîné. Le regard de leur père m’est également apparu de l’ordre du désir et je me disais que sans le vouloir j’avais un pouvoir, un pouvoir sur les hommes que je ne savais contrôler. C’est dans le charmant département de la Drôme que j’ai donc fait mes premières armes de séduction. J’ai appris que je pouvais jouer de cette séduction mais je n’avais pas le mode d’emploi donc je laissé venir celui qui voulait bien de moi. Le souci, tout compte fait ce n’en était pas un pour moi, c’est que les frères se sont battus pour m’avoir cette même année ! Le blond était le plus sûr de lui, c’est donc lui qui est venu le premier à moi. Avec l’envie de découvrir je me suis laissée aller à la rencontre amoureuse, je l’ai laissé m’embrasser sur la bouche et entrer sa langue pour se mélanger à la mienne. Je ne me rappelle pas vraiment la sensation que cela m’a procuré, mais je restais de marbre sans savoir si je faisais bien.
Après ce mois de vacances, le blond a cherché à me revoir, je me demandais bien pourquoi il m’attirait et pourquoi je l’attirais. j’ai pu très vite le comprendre le jour où il m’a demandé de venir chez lui un samedi après midi. Tout cela était bien sûr caché aux yeux de mes parents mais aussi à ceux de mes frères. Ces derniers ne devaient en aucun cas le savoir, comment une sœur pouvait leur "piquer" leur copain ? Je n’étais jamais la bienvenue dans leur cercle d’amis ! Ce samedi là, j’ai reçu un coup de téléphone du blond, mon petit frère répond en me disant:" c’est bizarre c’est pour toi on dirait la voix de mon pote!". Alors là il a fallu que je mente pour la première fois pour un garçon ! Je me suis donc rendu chez lui, il était seul, nous nous sommes installés dans le canapé, et là, ce jeune homme s’est montré de plus en plus entreprenant ! Que voulait-il me faire ? Sa façon de me toucher m’incommoder et je me demandais où il voulait en venir...J’ai compris assez vite que ce n’était pas moi, ma personne qui l’attirait mais mon corps. Alors là, connaissant pourtant la réputation de ce garçon, et ayant une peur bleue de l’acte sexuel, je me suis refusée à lui. Il ne semblait pas comprendre mais je ne voulais pas être une de plus sur son tableau de chasse, je voulais lui résister et ne pas être comme les autres!
Cette expérience m’a fait réaliser toute la subtilité de l’amour, l’amour n’était pas le désir et le désir n’était pas toujours de l’amour. Je savais donc à cet instant, que mon pouvoir sur les garçons provenait de mon corps et de ce qu’il dégageait. Bien sûr, je ne pouvais dire,comprendre et maîtriser ce pouvoir.

L’année suivante, nous sommes repartis en vacances avec cette même famille et là, j’ai pu tester le frère, le brun. J’ai compris avec lui, que les mecs étaient différents même et surtout entre frères.
Et là avec ce garçon j’ai pu faire connaissance avec la tendresse. il n’avait , en effet, rien à envier à son jeune frère car celui-ci m’apportait un plus. Il était très doux et affectueux, ça le rendait très mignon et attendrissant, j’aimais me perdre dans ses bras et ses baisers. Je vivais l’instant présent, je partais à la découverte, vers l’inconnu des sentiments humains. J’allais peut être m’y perde, mais il fallait que j’empreinte le chemin.
Une autre année, je devais avoir 16 ans, je me suis retrouvée à les fréquenter tous les deux en même temps. Une anecdote me revient et me reste à jamais gravée celle d’une après midi dans une grange à foin. Mes parents avaient loué un charmant gîte en pleine montagne au dessus d’une bergerie et au dessus de cette maison, il y avait donc cette grange où nous passions une grande partie de notre temps à jouer à cache cache. Ce jour là, je me suis retrouvée assise sur une botte de paille, et à chacun de mes côtés le blond et le brun. J’avais les bras croisés, ce qui montrait bien mon indécision. Je me sentais prise entre deux feux, entre deux amours, le blond a commencé à me prendre ma main quand tout à coup le brun m’a serré l’autre contre la sienne. A cet instant, je me suis sentie mal à l’aise ne sachant quelle main lâcher. J’ai fini par lâcher les deux et me suis enfuie seule dans la montagne pour réfléchir. Comment gérer deux aventures en même temps ? Lequel choisir ? J’avais une petite préférence mais je ne savais dire non à l’autre. Voilà comment débute tout le dilemme de ma vie....deux…

Le temps s’est écoulé et la vie a continué, je voyais les deux frères de moins en moins n’étant pas dans le même collège puis dans le même lycée. Nos routes se sont donc séparées, le blond avait trouvé d’autres têtes à son tableau de chasse et moi j’avais su résister ! Moi, j’avais encore tout à découvrir…

Le collège terminé, mon BEPC en poche et des mecs que j’avais su me mettre aussi dans la poche sans même rien faire, je suis passée d’un collège populaire à un lycée de "bourgeois". Un tout autre univers m’attendait, un univers inconnu qui le jour de la rentrée m’a questionné : " Dans quel monde suis-je tombée?". Dans mon collège, tout le monde se parlait, se côtoyait, il y avait la mixité raciale, on était populaire et fier de l’être, on venait tous du même milieu celui des ouvriers ! Dans ma classe de seconde, j’étais la seule d’un quartier populaire, les autres que des fils et filles de bonne famille qui partait en voyage dans les Caraïbes, alors que moi je ne connaissais que le bout de la France ! Quel choc de culture, je n’avais rien à voir avec eux et le malaise à commencer à s’installer!

J’ai très mal supporter cette année de seconde, mais j’y ai fait face tant bien que mal en essayant de donner le meilleur de moi même. Malgré tout mes efforts, j’ai eu du mal à tenir mes notes telles que je les avais au collège. Même l’anglais et l’espagnol les matières où j’étais plus à l’aise, je ne les appréciais plus. une lassitude s’est emparée de moi, même les garçons ne m’intéressaient plus… de plus, ma mère continuait à profiter de son emprise sur moi, je ne pouvais pas sortir avec des amis, la seule amie que j’avais c’était une fille plus jeune que moi, une petite voisine, mais que je m’étais prise d’affection. On s’entendait bien et on passait de long moment ensemble dans ma chambre à discuter de tout, de rien, et bien plus tard des mecs ! Nous avions pris l’habitude de graver les prénoms des garçons qui nous intéressaient sur le chéneau de ma chambre!
Je ne sentais pas la différence d’âge que nous avions elle me semblait mûre pour son âge et moi encore un peu gamine.

Les années lycée qui suivirent furent bien différent de ma première année de seconde. Arrivée en première, je me suis enfin trouvée une place dans une classe de personnes "comme moi". J’avais choisi la filière lettres et langues en faisant du portugais ma troisième langue étudiée. Je ne sais pas pourquoi mais cette filière était très appréciée par les classes sociales ouvrières, les autres, les bourgeois choisissaient la filière scientifique afin de devenir médecin ou chirurgien ou bien même avocat comme l’étaient leurs parents. Moi, je ne savais pas trop vers quel métier je me destinais , je laissais le destin faire. Les chats ne font pas des chiens, c’est bien connu, mais moi il fallait que je sorte de cette idée préconçue qui dit que l’égalité des chances n’existe pas ! Un peu paumée malgré tout, je m’aventurais en territoire inconnu qu’étaient les études. je savais que je devais en faire mais pour quoi faire, je ne le savais pas...pour faire plaisir, pour faire comme la cousine...En tout cas, la barre était placée très haute et difficile à atteindre.

Enfin intégrée dans une classe qui me convenait, je me suis dit que j’allais pouvoir remonter la pente des notes. Mais c’était sans compter sur une saloperie qui allait me "pourrir" ma vie de jeune fille. Cette "saloperie"; je ne peux l’appeler qu’ainsi même si elle a été une étape importante dans ma vie, celle qui m’a permis de forger mon caractère; c’est l’acné. Elle n’a fait qu’infester une grande partie de mon corps et surtout mon visage. A une période essentielle de la vie d’une future femme, je devais plaire et séduire, mais avec un tel désavantage comment aurai-je pu ? Essayant tous les produits miracles de grand-mère, rien n’y faisait, les boutons étaient toujours là, je ne voyais qu’eux. D’où pouvaient-ils venir ? Pourquoi moi ? On m’a répondu que la cause était génétique et hormonale et que comme ma mère et mon grand-père maternel en a eu et bien moi j’en étais la digne héritière!!pffffffff!! ! Très lourd à porter comme héritage, je n’avais rien demandé.

Voyant mon désespoir, et mon impuissance à ne pouvoir rien faire pour éliminer cet acné, ma mère décida de m’emmener voir une dermatologue, elle pourrait enfin me donner le remède miracle qui allait faire tout partir et enfin montrer mon vrai visage. Mais était-ce vraiment ce genre de médecin qu’il me fallait consulter ? Ce que je veux dire par là c’est que tout ce que l’âme ne sait exprimer, le corps l’exprime à sa manière. J’avais un mal être caché, à qui je ne pouvais dire mot, alors mon corps lui parlait de ces maux. Alors pour guérir de ces maux il aurait juste fallu que les mots sortent. Mais il n’y avait personne capable d’écouter ces mots, ce mal être. Alors il était plus simple de guérir le corps en tentant d’effacer ce que je voulais montrer, cacher les boutons les faire partir en pensant que les maux allaient partir par le même chemin. C’était peu dire, bien sûr la dermatologue me donna ce qu’il existait de mieux sur le marché pour combattre cet acné, un médicament avec un taux de réussite de 90%. Il m’a fallu juste prendre quelques précautions car ce remède n’était pas sans danger. En effet, j’ai du prendre une pilule contraceptive car si j’avais pu tomber enceinte, le futur bébé aurait eu des complications, mais comment voulez-vous faire l’amour avec un homme alors que vous n’êtes même pas en capacité de plaire avec tous ces boutons sur la figure ! je trouvais ce protocole complètement idiot et inadapté à une jeune femme qui fait tout pour plaire et qui n’y arrive pas à cause d’une gangrène éruptive.

J’ai misé beaucoup d’espoir sur ce remède et attendu énormément, enfin j’allais pouvoir me retrouver. Mes espoirs ont été de courte durée, mon état cutané empirait au fil des jours, ma peau séchait au plus au point, mes lèvres se gerçaient et finissaient par  craquer et saigner. Après avoir tout fait pour cacher ma peau grasse, je devais faire le nécessaire pour cacher la sécheresse!

Je ne supportais plus de me regarder dans un miroir, je me coiffais sans me regarder, car le visage qui s’y reflétait n’était pas le mien, mais celle que la dermatologue m’avait fabriqué.
Comment apprendre à se connaître soi même lorsque l’on ne reconnaît pas son propre visage ? Tout me paraissait confus, je ne renvoyais pas la vraie image de moi, on me renvoyait une image de moi qui m’horrifiait. Un jour, dans le tramway qui me menait au lycée, j’ai croisé le regard d’une femme, qui me regardait avec insistance. Son regard me mettait mal à l’aise, il m’insupportait car je devinais ce qu’elle scrutait. La tête baissée, je ne voulais plus croiser ce regard inquisiteur, quand cette dame s’est levé et m’a demandé d’un ton tout naturel:" Excusez-moi de vous poser cette question, mais je voulais savoir ce que vous aviez sur le visage?"
Elle pouvait s’excuser mais cela ne changeait rien à mon malaise, intimidée comme si j’avais fait une bêtise et qu’on me grondait, j’ai répondu que c’était de l’acné. Je n’ai pas attendu l’arrêt de mon lycée, je suis descendue au prochain arrêt pour sortir de cette honte qui m’envahissait. Depuis ce moment, je n’ai plus jamais repris ce tramway, je préférais ou plutôt je n’avais pas le choix que d’aller à pied et marcher tête baissée pour éviter tout regard malsain envers moi.

Alors en plus de ne plus vouloir croiser mon visage dans un miroir ou dans une vitrine, je ne voulais plus croiser le regard des autres, alors comment me retrouver ? Il y a également un autre sentiment que je renvoyais aux autres en plus de la moquerie, de la curiosité malsaine c’était la pitié. Un dimanche matin, un jour de marché, je me promenais avec ma mère quand celle-ci rencontre une amie qu’elle n’avait pas vu depuis longtemps. Cette amie, d’un air ahuri, parle à ma mère comme si je n’étais pas là et lui dit:" c’est ta fille ça?". Encore une personne qui ne me reconnaissait même pas, ma mère réponds que oui et l’amie de rétorquer : "et ben c’est bien malheureux ce qui lui arrive c’est une belle jeune fille pourtant!".
Comment osait-elle me rappeler ce que j’étais vraiment ? Comment pouvait-elle comprendre ce que je ressentais ? Je finissais par haïr tous ces gens qui ne voyaient pas en moi qui j’étais vraiment.

Au bout de quelques mois de traitement et de survie, mon corps a fini par réagir en rejetant ce médicament, mon foie en a pris un coup et j’ai attrapé une hépatite médicamenteuse. Bien sûr, mon corps ne pouvait accepter qu’on ne puisse l’écouter, qu’on le baillonne avec un corps étranger. Alors il se rebellait. Il y a une personne qui avait compris tout ça, c’est ma Marraine. Alors pour me sortir de cet enfer, elle m’a proposé de venir avec elle en Alsace une semaine, histoire de me retrouver. J’ai accueilli cet aubaine comme une offre incroyable de fuir à tout ce mal être. Mon séjour là bas, je le commençais en arrêtant ce médicament, ma Marraine me disait que c’était ça qui me faisait le plus de mal et qu’il fallait y mettre fin. Au fil du séjour, je me suis aperçu qu’enfin on s’occupait de moi comme il le fallait, on me donnait une toute autre attention que celle de la pitié que ma mère me renvoyait. J’ai pu faire ce que j’aimais, ce que j’attendais depuis longtemps, faire du cheval. Ah ça y’est on m’écoutait ! Petit à petit, le mal être se résorbait, les boutons et la sécheresse disparaissaient, je me retrouvais enfin, ma Marraine a su écouter les maux et bien plus qu’un médicament elle a ouvert ce qui était enfoui en moi.

De cette expérience, j’en ai tiré une force, la force de vaincre tous les maux et tous les mots. A cet instant, j’avais cette idée en tête, celle qui me disait que je ne voulais plus vivre sous le regard des autres, que à ce jour, les autres allaient voir de moi ce que j’étais vraiment. Pas cette jeune fille, qui marchait la tête baissée, ni celle qui ne se regardait plus dans un miroir, mais celle qui allait prouver aux autres qui elle était!
Sortie de la classe de terminale, le Baccalauréat raté; parce que selon les dires de ma mère et ma Grand-mère, je n’avais pas assez travaillé comme ma cousine qui l’avait eu du premier coup avec mention; il me fallait repartir du bon pied avec ce handicap en moins qu’est l’acné. Je voulais prouver à ma famille, que je pouvais y arriver, que ce n’était pas faute de ne pas travailler assez. J’avais envie d’y croire, j’y puisais ma force.
C’est lors de cette deuxième année de terminale, que je l’ai rencontré. Lui c’est Olivier, mon premier amour, celui pour qui j’aurai fait n’importe quoi.

Comme un pied de nez à la vie qui n’avait pas été sympathique avec moi, j’ai enfin trouvé l’amour, je l’ai cherché et c’est moi qui l’ai trouvé, un soir dans mon quartier, au mois de juin de l’année 1992, j’avais 19 ans. Il était beau, avait des yeux clairs qui m’attiraient au plus au point. il passait dans ma rue en vélo pour se rendre à l’auto école près de chez moi. Je ne loupais aucun de ses passages et l’attendait comme on attend le prince charmant. Un autre soir, je me suis décidée à lui parler n’en pouvant plus que de juste le regarder et l’admirer. C’est au coin de ma rue qu’ont eu lieu nos premiers échanges verbaux après le langage des yeux. Je voyais bien que je lui plaisais, ses yeux ne pouvaient mentir. Alors avec une force dont je ne savais d’où elle venait, je l’ai appelé, et me suis présentée. J’ai pu comprendre ensuite pourquoi il ne m’avait toujours pas interpellé, son frère cadet, lui avait rapporté que je sortais avec lui, alors que ce n’était pas du tout le cas ! Je savais que j’avais bien fait d’aller lui parler pour éclaircir les malentendus et qu’il puisse comprendre qu’il m’attirait fortement. Les jours suivants, je ne l’ai pas revu et un dimanche soir en revenant d’une journée à la mer, je l’ai vu arrivé au loin sur son vélo. Là mon cœur s’est mis à battre comme jamais. Je me suis avancée vers lui en sachant que c’était moi qu’il venait voir. Il s’est excusé en disant qu’il avait été très occupé et qu’il avait déjà une petite amie. Quel désarroi pour moi ! Il me proposa alors d’aller manger dans un fast food avec son frère. Et là commença une longue histoire....